Sushila et Tulasa nous accompagnent depuis les tout débuts dans cette aventure créative et humaine. Depuis 20 ans, elles conçoivent, avec les artisanes feutrières de leur atelier, une grande partie des collections MUSKHANE. Nous les avons interviewées pour vous laisser découvrir leur histoire.

Portrait de Sushila et Tulasa, directrices d'un atelier de feutrage au Népal


Valérie - Sushila (à gauche) et Tulasa (à droite) bonjour !

Aujourd’hui, je suis vraiment heureuse de prendre un moment avec vous pour que vous nous partagiez des bribes de votre histoire d’entrepreneuses népalaises. Cela fait maintenant 20 ans que nous travaillons ensemble et que dans votre atelier de Katmandou les femmes réalisent avec le plus grand soin une grande partie de nos collections en feutre.

Pouvez-vous nous raconter comment a commencé cette histoire, et comment vous avez eu l’idée de créer cet atelier ?


Sushila - C’était il y a 22 ans ! À cette époque, j’avais une santé fragile, et j’avais besoin de trouver une solution pour me changer les idées. Mon mari travaillait dans une entreprise de confection de tapis, et commençait à sentir un intérêt grandissant de la part d’acheteurs étrangers pour les produits en feutre. Très peu d’ateliers existaient à cette époque et les ressources étaient trop rares pour répondre à la demande croissante. C’est ainsi qu’il me souffla l’idée de m’intéresser au sujet et pourquoi pas de monter un atelier. Je me suis dit pourquoi pas ! C’était une occasion rêvée de sortir de chez moi et de me rendre utile. J’ai saisi l’opportunité.

C’est en mai 2001 que j’ai décidé de me lancer.

Aussitôt je me suis mise en lien avec une association de producteurs, la plus importante organisation de commerce équitable du Népal, travaillant avec différents ateliers et différents types d’artisanat représentatifs des savoir-faire népalais. Ils étaient eux-mêmes à la recherche de ressources humaines et proposaient des formations dans différents domaines, dont le feutrage. De mon côté, il me fallait apprendre la technique avant de me lancer. Mais le deuxième jour de la formation, alors que je me rendais sur les lieux, j’ai eu un accident de moto et me cassais le poignet ! Impossible de poursuivre l’apprentissage ! Alors, via la connexion familiale, tout le monde s’est mobilisé pour trouver une solution. C’est ainsi que Chandra, l’associé de mon mari a pensé à sa sœur, Tulasa. À cette époque, elle était maman de deux petits. Elle était enthousiaste de rejoindre le projet et son mari l’a encouragée. Elle a récupéré ma place dans la formation et c’est ainsi que nous nous sommes lancées ensemble dans cette aventure !

Depuis nous formons un beau tandem.

Incroyable ! J’adore ces successions d’évènements qui créent l’opportunité ! Mais alors comment avez-vous fait pour trouver vos premiers clients ?

Tulasa - Nous avons été chanceuses car nous n’avons eu aucun effort à faire. L’organisation avec laquelle j’avais suivi la formation avait des commandes grandissantes mais pas la capacité suffisante pour tout produire. C’est ainsi que nous sommes devenues l’un de leur fournisseur et eux l’un de nos clients principaux.

Ah ! quelle chance en effet ! Combien étiez-vous à ces débuts ?

Tulasa - Très vite nous avons été 12. Les femmes de notre quartier cherchaient du travail, et nous avions besoin de main pour feutrer, car les commandes étaient importantes !

Oui ! Et c’est à cette époque d’ailleurs que nous vous avons rencontrées ! Je me souviens de ces années. Quel type de produits fabriquiez-vous ?

Sushila - C’étaient majoritairement des petits produits : des trousses, des balles, des chaussons, des chapeaux, des sacs, des petites décorations, mais aussi quelques tapis.

Oui, c’est ça ! Au tout début, nous choisissions majoritairement des designs que l’association proposait et que vous produisiez. Mais très vite, nous avons eu envie de personnaliser davantage nos collections et de développer des nouveaux designs, en explorant différemment ce savoir-faire, et en proposant des pièces plus innovantes et ambitieuses. J’étais fan des tapis et des coussins. Mais il fallait travailler les techniques, les finitions, et nos attentes en termes de qualité étaient vraiment exigeantes.

Tulasa - Oui, effectivement, et c’était justement très excitant de travailler pour les collections MUSKHANE. Cela nous challengeait, et on peut dire qu’on a vraiment beaucoup appris à cette époque. Nous devions imaginer de nouvelles méthodes de production, trouver des solutions pour améliorer les finitions, s’organiser pour respecter les délais de livraison, etc….

Artisane népalaise en train de poser de la laine pour la fabrication d'un tapis en laine feutrée
2 femmes népalaises en train de fabriquer un tapis en feutre jaune avec de la laine, de l'eau et du savon

C’est ainsi que Thierry et moi sommes venus de plus en plus souvent travailler avec vous, dans l’atelier de feutrage. Vous vous souvenez de cette époque ? Comment l’avez-vous vécue ?

Sushila - Ça a été une époque très riche d’échanges et de perfectionnement. Ce n’était pas évident, mais toutes les artisanes et nous-mêmes étions vraiment motivées à répondre à ces nouveaux challenges, à créer de nouveaux designs, à explorer de nouvelles méthodes, à développer une meilleure qualité, à créer de plus grandes et belles pièces, et ainsi à parfaire ce savoir-faire.

Et puis, nous avons progressivement compris l’importance d’organiser la production, pour réussir à respecter les délais et répondre aux contraintes du marché de l’export. Il y a eu des défis de taille. Entre autres, nous avons dû nous adapter aux cycles des commandes, avec la plus grosse période de production qui tombe chaque année exactement au moment du plus grand festival népalais. Avec le temps, nous sommes de plus en plus performantes et arrivons à respecter les délais les plus fous, même si nous avons conscience que nous pourrions encore nous améliorer.

Et puis nous avons vu combien cela avait un impact sur le développement de notre chiffre d’affaires. Ce qui est sûre c’est que nous sommes fières de créer des produits encore jamais vus au Népal et d’une telle qualité.

Artisanes népalaises
Fabrication artisanale d'un tapis en laine feutrée
Femme népalaise en train de façonné un panier en feutre rouge et gris

Oui, c’est vraiment ça, il y a un enthousiasme contagieux dans l’évolution des produits et des collections. Et puis c’est vrai que pour les artisanes, recevoir des retours positifs en direct des clients leur apporte beaucoup de joie et un sentiment de participer à leur satisfaction !

Tulasa - Oui, toutes les femmes se sentent concernées et motivées pour confectionner les pièces MUSKHANE. Cela les met en joie de participer à créer du Beau. Et puis il y a toujours de la nouveauté ! La cerise sur le gâteau c’est de recevoir le feed-back des clients et voir combien les produits qu’elles fabriquent plaisent en Europe.

Pour elles, c’est un bel accomplissement.

Alors justement, en parlant des artisanes, dans votre atelier la plupart d’entre elles travaille avec vous depuis les tout débuts ! C'est assez exceptionnel au Népal, quel est votre secret ?

Sushila - En dehors du fait que pour elles, c’est formidable d’avoir un job, de sortir du carcan de la belle famille, et d’avoir ainsi une certaine indépendance financière, je crois que ce qui fait la différence c’est qu’elles se sentent en confiance ici.

Nous sommes une grande famille.

Avec Tulasa, nous sommes vraiment à leur écoute, et elles le savent. Quand c’est nécessaire, nous leur avançons de l’argent, s’il n’y a pas d’école, nous accueillons les enfants… Nous partageons leurs histoires, leur vie, les festivals aussi, bref, les joies et les problèmes. Il y a beaucoup d’entraide et de sentiment pour chacune. C’est une vraie tribu.

Dans notre ancien atelier, nous avions même un bout de terrain où nous faisions pousser les légumes pour que chacune puisse en rapporter chez elle.

Portrait d'une artisane népalaise
Artisanes népalaises en train de fouler au pied un tapis pour sa fabrication

Oui, on sent ce côté familial et rassurant. C'est vraiment ce qui nous a plu lorsque nous avons commencé à travailler avec vous. Et entre vous comment vous partagez vous les tâches ?

Tulasa - Alors de mon côté, je m’occupe de la production, du développement des prototypes, de la répartition du travail entre chaque femme, du suivi de la production, et Sushila s’occupe de la logistique, du packing de la facturation et de la gestion. Nous avons bien déterminé nos rôles mutuels.

J’ai envie de vous demander maintenant comment vous vivez votre rôle d’entrepreneure au Népal en tant que femmes ? Est-ce facile ? Bien accueilli ?

Sushila - De façon générale, être une femme entrepreneure au Népal, n’est pas facile. Les hommes ont tendance à vouloir nous dominer, à exercer leur pouvoir sur nous, à ne pas nous considérer. Et puis, nous n’avons le droit à aucune aide du gouvernement. Nous devons tout assumer, la maison, les enfants, le business, sans pour autant être aidées et reconnues. Mais les choses sont en train de changer. Aujourd’hui beaucoup de femmes travaillent au Népal. Et c’est vrai qu’il y a de plus en plus de personnes qui reconnaissent notre réussite, qui nous félicitent, qui nous encouragent, et nous respectent. C’est vraiment appréciable.
 
Tulasa - De mon côté, j’ai de la chance d’être supportée par mon mari, qui a vraiment été d’une aide remarquable, pour les enfants, la maison. Cela m’a permis de pouvoir être présente et impliquée dans l’atelier et la production.

Nous pouvons nous réjouir de ces changements progressifs de mentalité et célébrer votre réussite ! Quel va être votre plus grand challenge pour l’année à venir ?

Tulasa - Sans aucun doute, continuer à mettre en place le nouvel atelier. Ces derniers mois ont été vraiment fous ! Poursuivre la production tout en construisant et en ajustant les nouveaux bureaux et ateliers, c’était un vrai pari ! Nous n’avons jamais arrêté la production.

Et votre rêve professionnel ?

Sushila - Renforcer l’atelier de production, le rendre encore plus confortable, plus efficace, et permettre à chacune des 22 femmes d’être à l’abri financièrement, continuer à les soutenir et à leur apporter cette sécurité grâce à leur travail. Et pourquoi pas engager d’autres femmes dans le futur !

Merci Sushila, Merci Tulasa. Je vous souhaite que ce rêve se réalise et que cette aventure continue à grandir ! J’ai une dernière question pour chacune de vous. Au Népal, la vie est rythmée très régulièrement par des festivals impressionnants. Pouvez-vous me dire celui que vous préférez ?

Sushila - Pour moi c’est Tihar, sans hésitation. J’aime ce festival coloré et joyeux. Les lumières, les puja, se retrouver en famille, célébrer Laxmi, honorer les chiens, jouer, poser les tikkas. Ce sont de bons moments.

Tulasa - Oui, j’aime Tihar, mais j’aime aussi beaucoup Teej. C’est un festival célébré juste à la fin de la mousson, fin août début septembre, uniquement par les femmes. Pendant trois jours, vêtues de Saree rouges, nous nous rassemblons et allons au Temple honorer Shiva. Nous chantons et dansons toute la journée. C’est le moment aussi où nous allons visiter nos familles. C’est un moment très gai aussi.

Merveilleux ! Alors quittons nous sur cette note festive, autour de vous toutes. Merci pour ce beau moment de partage et à tout bientôt

L'équipe d'artisanes de l'atelier de feutrage à Katmandou

Interview réalisée par Valérie Billot, BLOOM CIRCLES

Photos par Maeva Delacroix et Nicolas Marie

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